En attendant de recevoir du Père Noël son dernier ouvrage "Le Vin et moi", le site All About Burgundy publie un entretien avec Jacques Dupont, intitulé "
Je suis inquiet pour la Bourgogne", mais qui parle principalement d'autre chose :
Les grands auteurs ont célébré l’ivresse pendant 2 000 ans : il suffit de lire Horace, Virgile ou Baudelaire. Aujourd’hui, le politiquement correct ne nous en donne plus le droit. Ça ne passerait pas du tout. On a ramené hypocritement le plaisir de boire du vin au plaisir de la « dégustation ». Aujourd’hui on met beaucoup de mots sur du vide. On déguste mais tout le côté convivialité qu’apportait une légère ivresse, de partager à table, tel que le concevait Voltaire par exemple, on le gomme.
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Il existe une culture un peu bizarre du vin qui entretient la confusion entre l’œnologie et la dégustation. Les gens disent : « Je prends des cours d’œnologie ! » Non, ils ne prennent pas des cours d’œnologie, ils n’apprennent pas la biochimie. On a enveloppé le plaisir de boire du vin dans un discours pseudo-scientifique. Les œnologues sont des gens au service du vin, et ils le font très bien, mais qui sont aussi des traqueurs de défauts.
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Enfin, je crois que le vin populaire a disparu de nos sociétés. On est dans le vin élitiste. Quand on dit que beaucoup de jeunes s’intéressent au vin, si on y regarde de près, il s’agit des jeunes de l’élite, des grandes écoles.
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Je goûte à l’aveugle pour me débarrasser de l’idéologie. Je suis d’accord avec Roger Dion lorsqu’il dit qu’il y a un tiers de géographie et deux tiers d’histoire dans un verre de vin. Si on remplace l’histoire par deux tiers d’idéologie, le vin devient bête. On ne déguste plus en fonction de son goût et de son plaisir mais en fonction d’une idéologie. Je ne défendrais pas un vin simplement parce qu’il est en biodynamie. De même si le vin « naturel » est très bon, tant mieux. S’il est mauvais, il n’est pas retenu. On ne reconnait pas à l’aveugle un vin en bio ou biodynamie. Il y a une chose que l’on reconnait : c’est le travail du sol dans les vignes.
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Le métier de journaliste c’est de témoigner, de raconter des histoires. C’est pour cela que je crois beaucoup au journalisme du vin. Chaque année, partout où je vais, je découvre ou redécouvre des vignerons.
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Le vin c’est le génie humain. Le premier signe de civilisation, c’est la maitrise de la fermentation. Dire que l’idéal c’est le vin naturel, qu’il serait une génération spontanée, comme une espèce de résurgence divine… Oui, tout ça m’emmerde complétement. A partir d’un même terroir, l’homme va apporter des choses différentes, suivant son intelligence, sa perception. C’est un équilibre entre la nature et l’homme. Les grands terroirs sont toujours dans des zones marchandes, de commercialisation. Les évêques d’Autun n’ont pas développé la Côte de Beaune ou de Nuits parce qu’un jour Dieu leur est apparu disant : « Vous avez là de grands terroirs sous les cailloux ». Ce n’est pas Neptune qui a suggéré aux gens autour du port de Bordeaux d’aller planter du cabernet-sauvignon. Vous ne verrez pas de grands vins dans les zones où il n’y a pas de circulation.